Johannes Steenstrup, "Dissertation sur la Complainte
de Guillaume Longue-Épée et les critiques
dont elle a été l'objet," in Étude
sur la vie et la mort de Guillaume Longue-épée,
duc de Normandie, by Jules Lair (Paris: Picard, 1893),
71-77.
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I. OBSERVATIONS DE M. GUSTAVE STORM.
Gustave Storm, Kritiske bidrag til Vikingetidiens historie. 1878 (P. 140). Au troisième quatrain,
il faut remplacer les mots: sui rexerunt, qui ne s'adaptent pas ai mètre par surrexerunt, belliquosæ
(femmes bellqueuses!) par bellicosi (hommes belliqueux) et quo par quos, régime
(p. 141) direct de subjugavit; le sens des deux stances est donc: «Il était né au
pays d'aoutre-mer, fils d'un père païen et d'une mère chrétienne,
et il fût baptisé jeune; après la mort de son père païen, les guerriers se soulevèrent
contre lui, mais il les vainquit de sa forte droite, se fiant à Dieu.» Ce témoignage d'un auteur
contemporain et intéressé, on ne peut le rejeter sans de bonnes raisons. Guillaume était donc
né au pays d'outre-mer. Comme Guillaume fut présenté au roi Charles en 927, on suppose,
en général, qu'il venait d'atteindre sa majorité; sa naissance aurait donc eu lieu vers 906.
Cependant, il est possible qu'il soit né plus tôt; ce qui est certain, c'est seulement qu'il était
né avant 911. D'autre part, il ne pouvait pas être de beaucoup plus âgé, puisque son
fils unique, Richard, ne naquit pas avant 930 environ. En général, dans les écrits français
du Xe et du XIe siècle, l'expression orbis transmarinus (pays d'outre-mer),
signifie les Iles Britanniques.
Quand le roi Louis arriva d'Angleterre (en 936), on dit qu'il venait des transmarinæ
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regiones ou des transmarinæ partes et les pèlerins britanniques, à Rome
(anglais et irlandais) sont appelés transmarini. Par conséquent, avant son installation
en France, le père de Guillaume, Rollon, a fait son séjour de quelque point des Iles Britanniques,
vers l'an 900, ou peu de temps avant. Il est dit ensuite que son père était païen, sa mère
chrétienne, (sonsignata alma fide); Rollo a donc épousé, pendant son séjour
aux Iles Britanniques, où il a enlevé, dans une expédition de Viking, une femme chrétienne,
d'outre-mer, et il a eu, à cet endroit, des enfants d'elle. Nous verrons plus tard comment cela s'accorde
avec les traditions scandinaves, tandis que celà est simplement contraire à Dudon qui dit que Rollon,
pendant le siège de Paris (885-887) a conquis Bayeux et qu'il a enlevé de là une femme de
qualité, «Popa», de laquelle il a eu, à Rouen, son fils Guillaume.
Il y a encore un reseignement que l'on peut tirer de la Complainte. Elle dit que Rollon «était
infidèle», non seulement pendant son (p. 142) séjour d'outre-mer, mais qu'il resta infidèle
jusqu'à sa mort (moriente infidele suo patre).
(P. 141). C'est pourqui l'éditeur de la Complainte, M. Lair, a remplacé très ingénieusement,
Hic in orbe, par hac in urbe; le témoignage de la complainte, divergeant de celui de Dudon,
vient par là infirmer le récit de Dudon. Je n'ai pas besoin de montrer à quel degré
un tel procédé est inadmissible au point de vue critique.
(P. 142). A ce point, M. Lair, a remplacé infidele par infideles, (sujet de surrexerunt)
pour échapper à la divergence entre la Complainte et Dudon.
Au premier coup d'il, cela semblerait (p. 142) contraire au fait réel que les Normands et leurs chefs
aussi furent baptisés en 912; mais, dans la bouche du poète ecclésiastique, cela veut dire,
sans doute, que Rollon persistait, malgré son baptême, à croire aux idoles (et peut-être
à les adorer aussi) et, comme nous allons le prouver tout à l'heure, il s'est maintenu aussi plus
tard en France une tradition que Rollon faisait des sacrifices à ses dieux, même après son
baptême. Un tel état intermédiaire entre le christianisme et le paganisme semble tout naturel;
il est d'acrod avec des rensiegnements venant d'autre part, du contemporain de Rollon, Helge le Maigre; il est
dit qu'il adorait et le Chirst et Thor.
Le poème français porte donc un témoignage irrécusable que Rollon séjournait
encore au pays d'outre-mer peu d'années avant 911, qu'il eut un fils (Guillaume) d'une femme chrétienne,
et que dans son cur il resta païen, même après son baptême, jusqu'à sa mort.
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II. REMARQUES DE M. JOHANNES STEENSTRUP SUR LES NOTES DE M. STORM.
Mon savant confrère de Christiana soutient, pour le troisième quatrain, qu'il faut remplacer les
mots sui rexerunt par surrexerunt, belliquosæ par bellicosi, quo
par quos. Voilà trois corrections en quatre vers, mais petu-il donc se faire que le second quatrain
puisse se passer entièrement de corrections?
Faut-il bien lire: hic in orbe transmarino natus patre, c'est-à-dire une indication absolument
contraire aux déclarations bien connues de toutes les sources, que Guillaume était né en Normandie
ou ne doit-on pas lire plutôt, comme l'a proposé M. Lair: hac in urbe.
M. Storm maintient que la correction est «inadmissable au point de vue critique». Pourtant, il me
semble que le devoire critique ne peut imposer au savant un respect absolu pour les lettres qui se trouvent dans
le manuscrit en question, puisqu'il lui faut absolument corriger beaucoup de passages dans ce petit poème,
où il y a surtout force abréviations incorrectement résolues.
On peut, d'ailleurs, alléguer de vonnes raisons qui renent nécessaire cette correction.
1 Premièrement, la langue poétique porte à croire lors même que les exigences
ne sont pas plus grandes que celles que nous impose ce poème-ci que la strophe ne doit pas commencer par
le mot choquant, hic; par le même raison, les mots régis: orbe transmarino, qui
suivent immédiatement la préposition, semblent un peu bien prosaïques. Autrement dit, une tournure
de phrase telle que la suivante: transmarino hic in orbe natus patre, serait plus poétique; meilleure
encore serait la tournure que voici: hoc in orbe (ou hac in urbe) transmarino natus patre.
De plus, il sonnerait mieux, sans doute, si le mot «patre» ne se trouvait pas seul au premier
vers et qu'on eût cette place un adjectif aussi, c'est-dire: transmarino patre. Enfin, au commencement
de la cinquième strophe du manuscrit: Hic audito olim regem Hludovicum, il est absolument nécessaire
de remplacer hic par hoc; pourquoi donc s'affliger de remplacer hic par hac
dans le seconde stance? Et, s'il paraissait un contraste et qu'au même vers on lût: «Lui, il
était originaire de ce pays, mais son père était un étranger», le passage se
trouverait meveille.
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2 En considération du récit du poème, parce qu'il manque d'une indication des localités
où se passe l'action, on y lit: «Il était né dans un pays d'outre-mer d'un père
qui persistait à adhérer au paganisme et d'une mère chrétienne, mais il fut baptisé
lui-même.» Tout-à-coup le récit change comme voici: «Quand mourut son père,
les guerriers se soulevèrent contre lui.» Mais cette révolte se passa en Normandie, et nous
n'avons pas point appris que le père, qui avait engendré le fils dans un pays étranger et
qui restait païen, soit venu en Normandie.
3 Que le terme des transmarini soit employé bien souvent par les Français en parlant
des Anglais et vice versa cela est hors de doute; mais on trouve aussi que ce terme est employé
en Angleterre et en France en parlant des peuples scandinaves (1).
4 Raisons historiques. Naturellement, M. Storm est en droit de maintenir qu'il ne faut pas expliquer
le poème selon les autres sources; qu'au contraire, il faut le regarder comme une source isolée,
et à l'aide du poème chercher à trouver la vérité. Ces observations d'un historien
distingué son justes, et j'ai tâché d'apprécier les mots leur juste valeur. Mais cela
fait, on a lieu aussi de considérer les récits des autres sources. Car nous devons nous rappeler
qu'il ne faut guère avoir peur de faire des corrections dans ce poème, où il y a des stances
qu'on doit modifier à peu près entièrement.
Voici donc la question que nous nous adressons. Les autres renseignements historiques concordaent-ils avec la
leçon: in orbe transmarino natus?
Les sources historiques disent-elles que Guillaume naquit hors de la Normandie?
La Chornologie. L'année de la naissance de Guillaume est inconnue; on ne peut le deviner que
par ricochet. En 927, il est associé à son père, où il gouverne de sa part; en même
temps, il prête serment Charles le Simple. Sans doute, on n'aurait pas confié le pays neuf un enfant
ou même un homme très jeune; il est donc probable qu'à cette époque, Guillaume avait
au moins une vingtaine d'années. Vraisemblablement, it n'était pas plus âgé non plus
(V. Dudon, p. 181).
M. Lair suppose (p. 179) qu'il avait vingt et un ans; il est donc né vers 905 ou 906. Est-il
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maintenant probable que Rollon ait fait son séjour aux Iles Britanniques cette époque, cinq ou
six ans seulement avant que le roi de France cédât la province par suite d'une longue série
de guerres?
Il n'y a guère de probabilité qu'un chef récemment arrivé ait obtenu les advantages
d'une cession de territoire, arrachée ici pour la première fois à la France. A cause des difficultés
de la chronologie, M. Storm s'efforce rendre Guillaume plus âgé. Avant son installation en France,
le père de Guillaume, Rollon, a fait son séjour quelque part dans les Iles Britanniques, vers l'an
900 ou peu de temps avant.
La mère. En ce lieu, dit M. Storm, Rollon a épousé (ou a eu des rapports avec)
une femme chrétienne. Mais n'y a-t-il aucune source, soit française, soit scandinave qui dise que
Rollon a été marié en Écosse? Il faut répondre: Non, pas une seule! Le fait
sur lequel s'appuie M. Storm (p. 174) est le reseignement isolé du Landnamabók que Helge,
fils d'Ottar, en dévastant l'Écosse vers 934-940, fit prisonnière Nidbjorg, fille de la fille
de «Gangerrolf» (s: Rollon), Kadlin et du roi Bjolan. M. Storm indique que ce Bjolan comme le dit
aussi M. Skene (2) a dû être un de ces chefs, nommés O'Beolan, desquels
descendent, suivant la tradition écossaise, les comtes d'Appelcros (partie du sud de Ross).
Nous sommes ici au beau milieu des traditions d'une époque beaucoup postérieure, et les chefs
écossais n'était quère des «rois»; mais toutefois, la conjecture est admissible
et il es possible que Bjolan ait vécu à Ross.
Quant à la valeur du reseingements islandais, je ne le discuterai pas de plu près, je ferai seulement
remarquer qu'il paraît ici dans une table généalogique, non pas dans quelque narration des
exploits de Rollon.
Du Landnamabók, dit M. Storm (p. 174), le récit a passé dans le Flateyjarbók
(I, p. 308) et dans la Laxdælasaga (chap. xxxii), où Bjolan n'est pas mentionné, du
reste. Je suis complètement d'accord sur le premier point, le Flateyjarbók copie seulement
le Landnama; mais l'égard de la Laxdæla, il en est autrement. Dans une exposition
généalogique il est dit d'un certain Osvif que sa mère s'appelait «Nidbjorg»,
la mère de celle-ci «Kadlin», fille de «Gangerrolf», fils d'Oxnethorer; il était
un noble chef à Viken, et était appelé ainsi (Oxnebufs), parce qu'il possédait trois
îles et quatre-vingts bufs dans chacune (3). Outre que Bjolan n'est pas mentionné,
l'attention est détournée entièrement de «Gangerrolf» qui est mentionné
seulement en qualité de fils d'Oxnethorer, résident à Viken (à Christianiafjord), loin
du sol natal de Ragnvald et de son fils, Rollon (suivant la tradition
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des Sagas) à Mre (à Throndhjemsfjord); d'Oxenthorer, la saga fait un long récit et quant
au célèbre Gangerrolf, elle le laisse passer sans mot dire!
En tout case, il résulte de cet état de choses que le reseignement ne peut être d'une très
haute valeur. Mais soit! Une fille, légitime ou illégitime de Gangerrolf, fils du comte de Mre,
appelée du nom chrétien de Catherine, a été marié en Écosse, et il en
suite c'est la conclusion de M. Storm (p. 175) que Gangerrolf a été marié (ou a eu des
rapports) avec une femme chrétienne aux Iles Britanniques. Mais parce qu'une femme est mariée quelque
part, il n'est pas incontestable qu'elle y soit née ou que son père y a fait son séjour autrefois.
Par exemple, Kadlin a pu être aussi bien une fille du conquérant de la Normandie et d'une femme française,
née en France, quoiqu'elle fût mariée plus tard en Écosse.
Du reste, il est singulier que la petite=fille du duc de Normandie soit enlevée simplement par un Islandias
et que les enfants de Nidbjorg, qui émigrent plus tard d'Islande, n'aillent pas à leurs parents puissants
de Normandie, mais, au contraire, en Norvège.
Supposons cependent qu'il y ait en effet une tradition islandaise qui porte à croire que Guillaume est
le fruit des rapports de Rollon avec une femme chrétienne, aux Iles Britanniques.
Comme contrate à cette tradition, fixée sur le parchemin au plus tôt au XIIe
ou XIIIe siècle, on trouve la tradition des conquérants de Normandie, écrite vers
l'an 1000, et plus tard aussi pendent le XIe siècle, que Rollon avait épousé une
fille du comte Bérenger de Bayeux, nommée Popa, et qu'il eut d'elle son fils Guillaume et sa fille
Gerloc. Dudon, écrivant sur la demande du petit-fils de Guillaume, le sait; Guillaume de Jumièges
raconte le même fait. C'est pourquoi on crorait que, si aucune tradition ce ces temps-là pouvait être
bien confirmée, ce devait être celle-ci. La famille ducale devait savoir qui était la femme
du père de la race.
Ce serait un peu étrange, si la tradition scandinave, soit islandaise, soit norvégienne, fondée
sur une base si faible, devait être préférée la tradition française.
Il y a une source à quelle M. Storm attache une grande importance pour l'histoire de Rollon, c'est la
«Historia Norvegiæ», rédigée vers 1180 (c'est l'opinion de M. Storm) ou
au XIIIe siècle (suivant d'autres savants). Mais qu'est-ce donc que l'on y trouve? «Ast
idem Rodulfus regni primatu potitus defuncti comitis uxorem duxit ex qua genuit Willelmum». Tandis que
tout ce que dit cette chronique, au sujet de l'histoire de Rollon, est regardé par M. Storm comme «une
tradition populaire de bon aloi (p. 173), une tradition norvégienne» (p. 170, il juge le passage susdit
sans valeur. Bien entendu, on ne peut que s'étonner que la même source qui donne suivant l'assertion
de M. Storm la bonne tradition norvégienne de l'histoire antérieure de Rollon, non seulement ne
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pas la tradition norvégienne de l'épouse de Rollon, mais encore avance cette nouvelle fausse,
bien apparentée à la tradition française, qu'elle était «la femme du comte précédent.»
Guilaume de Jumièges même, chez lequel M. Storm prétend quelquefois trouver une protestation
contre le récit de Dudon (p. 160 et suiv.), raconte que la mère de Guillaume s'appelait Popa, fille
de Bérenger et était native de Bayeux; il connaît jusqu'au nom de la sur de Guillaume (Gerloc)
qui naquit de la même mère et qui se maria à Guillaume de Poitou après l'avènement
de Guillaume Longue-Épée, c'est-à-dire justement à l'époque où la sur
supposée de Guillaume en Écosse, mariaitsa fille (Storm, p. 174; M. Steenstrup, II, p. 378).
Enfin, selon toute probabilité, c'est justement à Rouen que Guillaume est né. La ville
fut plus tard la résidence du duc, et le récit de Dudon (p. 179) n'est, en effet, qu'une paraphrase
de ce que dit le poème en vers: Patre Daco scilicet Rollone, matre Francigena vid. Poppa..... genitus,
Rotomagensi urbe extitit (comme l'a fait remarquer aussi M. Lair, p. 396).
Voilà la raison décisive, ce me semble, pour remplacer «orbe» par «urbe»,
car en soi, rien n'empêchait d'employer le mot d'«orbis» pour dire «province».
NOTES
(1) Guillaume de Malmesbury, Gesta Pontificum, l. IV, §154, en parlant de la
ville de Bristol: «portus navium ab Hibernia et Norregia et ceteris transmarinis terris venientium receptaculum.
Ailred de Rivaux: Omnes per Angliam Dacos..... Edelredeus jussit interfeci. Quod Daci transmarini audientes....
duce Suano cum innumerabili exercitu Angliam intrantes, etc. (Twysden. Scriptores decem 362). Flodoard,
944. Normanni qui nuper a transmarinis advenerant regionibus (Pertz, Scriptores, III, p. 391).
Anselmi Gesta episcoporum Leodiensium: legimus diram Nortmannorum gentem cum duce suo crudelissimo
Godefrido a transmarinis partibus nostros fines irrupisse. (Pertz, Scriptores, VII, p. 199). Cartulaire
de Saint-Père de Chartres (vetus aganon) 5: Quadam vero tempestate, de transmarinis partibus
cum rostratis navibus gens pagana ebulliens... totam pene Neustriam crudeliter devastabat, 15: Monasterium
solo tenus transmarinis dirutum, 45: Paganis transmarini.... pene totam Europam flammis atque prædis
ferroqùe crudeli depopulando vastaverunt. 46: transmarini pagani, quibus dux præerat Rollo,
mare transmeantes in Neustria partibus..... septem civitates obtinuerant.
(2) Skene. Highlanders of Scotland, II, p. 222.
(3) Laxdæla, édition de Kaalund, p. 106, chap. xxxii.